Autoflagellation : le plus cruel des bourreaux, c'est vous !

L'autoflagellation est un mal qui sévit d'une manière discrète et silencieuse.

Personnifiée par la fameuse "petite voix", cette autocritique s'applique d'une manière minutieuse à nous enfoncer la tête sous l'eau du matin au soir.

On en parle ici car elle nous a fait du mal à tous. Je vous explique comment l'intercepter et la transformer. Bien que ceci demande de la pratique, on arrive au fil des mois (ok, des années) à apprivoiser ce petit animal sauvage.

 

Quelle est la personne qui vous critique le plus ?

Non, ce n'est pas le patron, même le jour où quelqu'un lui a arraché son rétroviseur alors qu'il s'était arrêté en double file pour acheter son paquet de cigarettes.

Non, ce n'est pas votre belle-mère qui vit à l'étage depuis peu et qui s'est mis en tête de vous enseigner quelques bonnes manières (elle ne supporte pas le tube de dentifrice qui traîne toujours près du lavabo).

Non, ce n'est pas Madame Dubois qui vous a torturé au CM2 car elle estimait que votre écriture cursive nécessitait l'intervention d'un paléographe.

Votre critique le plus cruel, c'est vous. Et il est temps que vous vous en rendiez compte.

 

Mais elle vient d'où, cette petite voix ?

Bonne question, je ne sais pas exactement. Je suppose qu'au cours de notre évolution, il s'est créé à un moment donné un processus mental d'autocritique.

Ce processus avait fort probablement un but de protection, comme toujours. En ayant constamment ce processus de surveillance qui tourne en tâche de fond et qui nous observe, nous sommes censés faire moins d'erreurs, n'est-ce pas ? (*)

Sauf qu'il y a eu un bug dans l'application. C'est comme dans ces films où l'on voit l'ordinateur de bord (supposé être là pour rendre service), dans le vaisseau intergalactique, prendre contrôle et se transformer en dictateur.

Pareil ici. La petite voix se transforme en un bourreau assoiffé de sang (bon ok, j'exagère un peu, mais je ne suis pas loin de la réalité). Il est où l'aspect utile et constructif ?

Je peux vous assurer que cette voix est une source significative de découragement et de déprime dans votre vie. Si vous arrivez à la dompter, vous vous sentirez plus léger.

 

Autoflagellation et cruauté envers soi-même

Le vocabulaire employé lors d'une séance d'autoflagellation est très salé (pour être diplomate) et franchement cruel (pour être réaliste).

"Allez, vas-y, mange encore une part de gâteau, au moins tu vas ressembler à une grosse truie."

"Trois mois que t'as démarré ce projet et regarde où t'en es, pathétique, si tu te fais virer à la prochaine évaluation faudra pas te plaindre."

"Non mais tu t'es entendu là, avec tes blagues pourries ? Je me demande pourquoi tes amis t'invitent encore dans leurs soirées. Tu me fais honte, tiens."

"Voilà, encore à découvert bancaire et on est juste le 20 du mois, c'est bien, tu veux battre des records, je te félicite. Bientôt tu seras un boulet pour la société, on va fêter ça."

Etc.

Etc.

Vous avez besoin d'autres exemples ? Car personnellement, je peux vous en sortir des centaines. Oh non, c'est pas moi qui l'ai dit m'sieur, c'est ma petite voix.

Bon, du coup c'est moi qui me le suis dit, mais j'ai vraiment l'impression que c'est plutôt un moraliste-perfectionniste qui n'a rien à voir avec qui je suis et qui vit dans ma tête.

Et pourtant, ce grand maître de l'autoflagellation siège bien dans mon mental. Vade retro satana.

 

Être conscient de l'autoflagellation

C'est la première étape. Elle est absolument cruciale.

Il faut comprendre que cette voix a pris racine dans votre tête, et qu'elle prend un malin plaisir à souligner tout défaut, dérapage, faiblesse et autre déviation. Elle est particulièrement friande d'humiliations, cette saleté.

Depuis que je médite, je trouve que j'ai une bien meilleure capacité à intercepter cette voix. La méditation me permet d'être beaucoup plus observateur de ce qui se passe dans mon mental. Plutôt que de me laisser emporter par le flot incessant de mes pensées critiques, je suis capable de prendre de la hauteur.

Prendre conscience de la petite voix nous permet de tout simplement l'ignorer. Si, c'est aussi simple que ça. Une fois qu'on l'a débusquée, qu'on s'est aperçu qu'on repart dans un autre cycle d'autocritique, on dit stop.

On peut même prendre les devants.

Exemple. Imaginez, je suis au supermarché. Une personne âgée fait tomber son sac de pommes juste devant moi. Mais je suis pressé, et dans un élan de stupidité, je ne sais même pas pourquoi, je passe mon chemin. La personne juste derrière moi se baisse pour aider la personne.

Immédiatement, je me dis que la petite voix va me décocher une droite du style "pauvre minable, t'avais qu'à la pousser dans le bac de surgelés pendant que t'y est. Et les autres qui te regardent, ils pensent quoi à ton avis ?  Bla bla (insérer insulte ici)".

Et j'intercepte ce coup avec un subtil mouvement d'aïkido mental : je l'esquive et je le laisse passer juste au-dessus de ma tête. Ensuite je bâillonne la petite voix pendant une dizaine de minutes, histoire que je me remette de cet acte vil :-).

Bon, ensuite, elle reviendra un peu plus tard. Mais l'adrénaline sera redescendue, et je pourrai mieux gérer l'estocade. Sauf que, à ce stade, je vais dégainer la technique du meilleur ami...

 

La clé : devenir son meilleur ami

Qu'auriez-vous dit à votre meilleur ami dans les mêmes situations ?

Vous auriez été patient, à l'écoute, compréhensif. Vous l'auriez rassuré en expliquant que l'autoflagellation n'a jamais rien apporté de bon. Que l'on peut toujours se reprendre. Qu'il y a toujours des solutions.

Et si vous deveniez votre meilleur ami ?

Reprenons deux des situations listées plus haut et voyons à quoi ressemble la voix du meilleur ami :

"Tu t'es laissé aller à une 2e part de gâteau, frustrant mais gérable. Vu ta tendance au surpoids, à chaque fois que ça arrive, prévois une séance de sport le lendemain matin. C'est super simple et tu te sentiras mieux physiquement et émotionnellement. On met ça en place à chaque fois que tu es invité ?"

"Ton projet traîne, c'est clair. Mais lorsqu'on est fatigué et pas motivé, c'est vraiment compliqué d'avancer. C'est normal. Et si tu essayais d'aller marcher 10 minutes toutes les 2 heures ? Ça te redonnera un peu d'énergie et de créativité. En parallèle, tu peux envoyer ta candidature pour le nouveau poste qui s'est créé, tu as besoin de changement."

Etc.

Vous voyez la différence ? On passe du destructif au constructif. Le but n'est pas de se voiler la face, mais de conseiller, de soutenir, de suggérer plutôt que de descendre en flèche.

À chaque fois que vous avez affaire à la voix de l'autoflagellation, imaginez-vous installé confortablement autour d'une tasse de café. En face de vous, il y a vous, avec ses problèmes et ses frustrations. Cette personne est en détresse. Vous êtes son meilleur ami.

Qu'allez-vous lui dire ?

 

(*) Il existe en fait de nombreuses études faites sur la fameuse petite voix (voir ici par exemple). Son rôle n'est pas entièrement élucidé, mais couvre la planification, la résolution de problèmes, le stockage des informations importantes en mémoire, etc. En revanche, lorsqu'elle devient bourreau, elle est source d'anxiété et de dépression...