Être rebelle : l'histoire de Ron Finley

On se sent parfois (souvent ?) désemparé face à l'évolution de la société actuelle. Comment faire bouger un système qui semble sclérosé et figé dans le béton ? Réponse : il faut savoir être rebelle.

Notre étude de cas aujourd'hui : Ron Finley, guérillero urbain. Mais avant de vous parler de Ron, il faut que je vous situe la scène géographiquement.

 


L'endroit où on ne s'arrête pas

Il existe un endroit de Los Angeles qui s'appelle South Central. On ne s'y arrête pas. On passe son chemin, parfois au pas de course, et mieux vaut avoir des Nike et pas des talons aiguille.

J'ai vécu à Los Angeles, dans un quartier où l'on peut sortir la nuit sans devoir regarder par-dessus son épaule toutes les 5 secondes. N'ayant pas les moyens de me payer une 2e voiture (ma femme avait récupéré la vieille Toyota que nous traînions depuis pas mal d'années), je décide d'acheter une moto d'occasion.

Le vendeur était un CHP (policier motorisé... vous vous souvenez de Jon et Ponch à la télé... non ? pfff, trop jeune alors). Lorsqu'il me voit arriver à South Central, il me dit en gros "qu'est-ce que tu fous là ?". Il voyait bien que je n'appartenais pas à l'écosystème local. Il déplie une carte de la ville devant mes yeux et me dit : "fiston, tu m'écoutes là ? Concentre-toi, tu vas suivre exactement le chemin que je vais te tracer."

Pendant 45 minutes, j'ai conduit la moto que je venais d'acheter pour 850$ sans trop savoir si j'étais en train de transpirer ou de frissonner. Je suis arrivé intact. Mais South Central, je m'en souviens. C'est une jungle de béton. Un assortiment de fast-foods, de parkings, de zones bitumées avec des grillages défoncés. Ne pas se faire remarquer si on n'est pas du coin...

 


Elle est où, ma pomme ?

Un jour, Ron Finley, qui est du coin, en a marre de conduire 45 minutes pour aller acheter une pomme qui n'est pas imbibée de pesticides.

Il prend alors une décision qui va changer le cours de sa vie et de sa communauté locale. Une décision qui, au final, est plutôt minuscule. Mais être rebelle, ça ne veut pas forcément dire d'aller défoncer des gros murs. Ça commence par grattouiller une petite brèche dans le système, voir si on peut faire apparaître un trou pour que la lumière passe.

Ron repère un morceau de terre juste devant chez lui. C'est un carré situé sur le bas-côté de la route, juste derrière le trottoir si vous voulez. D'après la loi, c'est celui qui habite devant ce carré qui est responsable de l'entretenir. Tant qu'à faire, autant transformer ce carré en quelque chose de productif !

Voici l'idée géniale de Ron :

Être rebelle : l'exemple de Ron Finley

Photo de Stephen Zeriglaer pour Alternative Apparel

Ron, aidé de son groupe de bénévoles, plante des carottes, des légumes, des bananiers et mandarinier.

Des amis arrivent pour observer cette jungle comestible. Ron leur dit de se servir, c'est pour eux aussi. Ces gens-là n'avaient pas mangé de produits frais depuis bien des années.

Ainsi commence le "phénomène Finley".

 


Du trottoir aux journaux

Il n'en faut pas beaucoup pour que les journalistes commencent à débarquer et à questionner ce drôle d'énergumène. Au fil du temps, Ron permettra à de nombreuses communautés de développer leur jardin communal et de passer du McDonald à la tomate fraîche accompagnée de quelques feuilles de basilic. Provenant du lopin de terre près de la route, of course.

Certains diront que ses légumes contiennent des gaz d’échappement. Si ça vous a traversé l'esprit, soyez franc. Car ça m'a traversé l'esprit moi aussi. Pensée logique, mais qui passe complètement à côté du changement radical qui est en train de s'opérer grâce à Ron. Un changement de valeurs, de philosophie d'alimentation, de santé et de vie.

Aujourd'hui, Ron se concentre sur son projet qu'il décrit de la manière suivante :

"On bosse sur le concept d'une buvette rattachée à un jardin avec un centre d'apprentissage. C'est un centre dans lequel on montre aux gamins comment réfléchir, mais on ne leur dit pas quoi penser. Je veux former les gens à l'aquaponie, au travail du bois, à la mode et à l'art. On veut placer ces centres dans ce que j'appelle les prisons alimentaires, et nous sommes nombreux à vivre dedans... On enseigne comment faire pousser sa propre nourriture, comment reprendre sa santé en main. De nombreuses industries ne veulent pas que nous soyons indépendants. Elles ne tirent aucun bénéfice du fait qu'on cultive notre propre nourriture."

 


Le jardinier gangster

Un journaliste demande à Ron : "Pourquoi vous appelez-vous le jardinier gangster ?"

"Si tu jardines, tu es un gangster. Je m'en fous que tu sois une mère de 70 ans qui habite dans l’État du Maine ou une gamine de 4 ans qui habite à South Central. Jardiner, c'est gangster. La drogue, les cambriolages - c'est pas gangster. Construire une communauté, ça, c'est gangster. Je suis en train de changer le langage. Si nous devons avoir des guerres de gangs, je veux qu'elles se fassent autour de qui aura la plus grosse courgette."

Autres citations que j'adore :

  • "Faire pousser votre nourriture, c'est comme avoir votre propre presse à billets". Un euro de graines se transforme en plusieurs dizaines d'euros de produits frais. Sans compter les coûts de santé réduits, et une vie meilleure.
  • "Je refuse de vivre dans une réalité qui a été construite de toutes pièces par d'autres. Je construis ma propre réalité."

Les choses n'ont pas toujours été faciles pour Ron qui a été harrassé par les autorités. Il a eu une contravention pour... je ne sais pas comment on pourrait appeler ça. Exercice illégal du jardinage sur terrain public ? La contravention est vite devenue un mandat d'arrêt.

Réponse de Ron ? OK, je vous attends, moi je bouge pas ! Entre-temps, le journal LA Times fait un reportage et contacte un conseiller municipal, qui appelle Ron pour lui dire qu'il adore son travail. Tout sera arrangé dans le bureau du maire. Affaire classée.

 


Une poussière d'idée

J'aimerais maintenant vous faire réfléchir à la question suivante : c'est quoi, être rebelle, exactement ?

Je me suis posé la question car depuis tout jeune, je n'ai jamais aimé faire de vagues. J'ai toujours suivi les règles, les lois. Le bon petit élève. Mais ces dernières années, je vois bien que face à un système qui dérive, il faut se creuser la tête, voir comment on peut faire bouger les choses d'une manière pacifiste.

Être rebelle, ce n'est pas forcément prendre les armes et s'insurger contre une dictature. Du moins, je n'aurai jamais le cran de faire. Sauf si j'y suis poussé et que ma vie en dépend. J'espère ne jamais avoir à en faire l'expérience ! Mais exploiter une petite brèche, contourner un obstacle qui a été cimenté en place par un lobby quelconque, ça, je commence à le faire, à ma vitesse, à ma manière.

Vous réalisez que le travail monumental de Ron a commencé par une poussière d'idée ? Il a vu ce carré de terre avec un peu d'herbe sèche, devant chez lui, peut-être 8 m de long par 1 m de large. Il a pris sa bêche, il a retourné la terre, il a semé des graines et il a arrosé. Tout est parti de là !

Regardez la beauté de l'enchaînement :

Retourner un morceau de terrain public → voisins curieux → travail sur d'autres parcelles → journalistes curieux → intérêt grandissant, des fonds se débloquent → transformer sa communauté locale.

Les révolutions se font donc un coup de bêche à la fois. Elles démarrent d'une poussière d'idée.

Être rebelle, changer sa communauté locale est donc à ma portée, à votre portée aussi. Ne nous embarquons pas dans des projets d'ampleur monumentale. Sur papier, c'est magnifique. Mais quand on s'y attaque, on a vite fait de baisser les bras. Trop complexe, j'ai pas les moyens.

Non. Rappelons-nous simplement de l'histoire de Ron Finley, le gangster jardinier :  la révolution pacifique se fait un coup de bêche à la fois.

Allez, je vous laisse regarder cette très inspirante vidéo.