Faux altruisme : lorsque l'on donne pour avoir bonne conscience

La première fois que j'ai rencontré le concept de faux altruisme, c'était dans les écrits d'Anthony de Mello (*). Bien d'autres auteurs en ont parlé bien sûr, mais en ce qui me concerne, c'est lui qui m'a ouvert cette porte.

De Mello a ce don de parler et d'écrire d'une manière très simple tout en venant nous titiller là où ça dérange. Lorsqu'il aborde l'altruisme (un terme qu'il n'utilise pas vraiment, il reste sur un registre beaucoup plus simple et accessible à tous), son franc-parler m'a beaucoup fait réfléchir. En particulier au sujet de mes tentatives de dons et de générosité dans le passé.

Déjouer le faux altruisme

Et je me suis dit... qu'il y avait du boulot ! Je pense me reconnaître dans à peu près toutes les caricatures que je vais vous donner ici. Vous l'avez compris, cet article est écrit par un être très imparfait qui continue de "merder" de manière fréquente, mais qui ne recule pas devant des mots qui dérangent et une bonne prise de tête. Le tout afin de mieux faire et de mieux être dans les jours futurs.

Donc c'est parti, je vous préviens, ça donne envie de réagir fortement et de se dire "non c'est pas moi, ça". Peut-être. En tout cas, faites preuve d'honnêteté envers vous-même et voyez ce que vous en tirez.

 

Faux altruisme et don égoïste : et alors ?!

Enlevons-nous de devant le point suivant. Que l'on fasse preuve de faux altruisme, que l'on fasse un don égoïste pour soi, pour se faire du bien... Est-ce qu'on s'en cogne pas un peu, au final ?

Que l'on donne devant les autres pour se faire voir, que l'on donne par obligation morale avec une certaine réticence, ou que l'on donne d'une manière réellement altruiste, le but n'est-il pas atteint ?

Oui, quelque part, je le pense. Si l'objectif est effectivement de "faire tourner la richesse", alors que ça se fasse d'une manière ou d'une autre, tutto bene.

Mais cela n'est pas l'objectif de cet humble site. L'objet ici, c'est qu'on fasse le point sur qui nous sommes et qui nous voulons devenir.

 

Différents types de posture face au don

Voici les différentes postures inconscientes de la personne qui fait un don. Du moins celles que j'ai pu recenser.

  • Je donne par obligation morale. J'attendais tranquillement à un feu, le gars est venu me nettoyer le pare-brise de la voiture alors que je lui avais clairement dit non. Et maintenant, voilà, le travail est fait, faut que je lui donne quelques euros. Car la morale dit bien tout travail mérite salaire. Etc... si vous vivez à Marseille, veuillez rajouter 2 ou 3 insultes en plus. (sentiment : colère, frustration)
  • Je donne par pression sociale. Je suis au restaurant avec ma femme, en terrasse, et un "vendeur des rues" vient placer une rose sur notre table. Tout le monde nous regarde. Bon, maintenant faut bien que je lui donne quelque chose sinon les gens vont penser quoi ? Puis bon, sortir juste un euro, ça marque mal. Faut au moins sortir le billet. Etc. (sentiment : colère, frustration)
  • Je donne pour me faire voir et améliorer mon statut social. C'est le gala de fin d'année de l'association dans laquelle je me suis beaucoup investi. On est en pleine collecte de fonds, et j'annonce lors de ma présentation que je vais moi-même faire un don significatif. Les gens applaudissent. (sentiment : fierté, orgueil).
  • Je donne pour me donner bonne conscience. L'ami de mon fils a fait une demande de financement participatif pour aller étudier la flore menacée en Amérique du Sud dans le cadre de son programme universitaire. Je le connais bien. Je ne peux pas ne pas donner, sinon je ne pourrai pas me regarder en face dans le miroir. Je donne autant pour ma propre image que pour son projet.

Ça vous fait penser à certains épisodes de votre histoire ? Non ? Ben bravo, car moi oui.

Vous remarquerez que ces exemples tournent autour de 2 thèmes principaux :

  1. Je donne par obligation, et ça m'énerve
  2. Je donne pour me donner bonne conscience, ça me fait un peu mal au portefeuille, mais ça me fait du bien

Évidemment, dans tous ces scénarios, on peut aussi vouloir le bien de l'autre. Les deux ne sont pas exclusifs. Je peux donc donner à une association pour me faire voir, pour que les gens disent du bien de moi, mais aussi car je suis très attaché à la réussite du projet.

Et c'est souvent cette dernière partie qui ressort. On a l'impression que l'on fait les choses pour le bien d'autrui. C'est vrai, il y a cette partie-là. Mais souvent, il y a aussi une grosse partie cachée qu'il faut faire ressortir, sinon nous ne sommes pas honnêtes envers nous-mêmes.

 

Le don anonyme

Un bon moyen d'éviter tout phénomène de pression sociale, toute quête de statut et de gloire : faire un don totalement anonyme.

Je mets un billet dans le chapeau du jongleur lorsque personne ne regarde, lui inclus. Je fais un don anonyme à mon association. Je fais un don pour l'ami de mon fils, mais je ne mets pas mon nom dans le formulaire de financement participatif. Etc.

Il reste bien sûr la notion de me donner bonne conscience. Car ceci est une affaire entre moi et moi, personne n'a besoin de me regarder pour que j'arrive à la conclusion que je suis quelqu'un de bien car j'ai fait un don. Que faire pour agir sur ce point-là ?

Anthony de Mello nous explique l'attitude ultime du donneur.

 

Déjouer le faux altruisme... Qui, moi ?

Le donneur authentique, celui qui a vraiment compris l'altruisme, donne sans en avoir conscience. Lorsque vous l'abordez pour le remercier, ou lui faire remarquer qu'il a fait quelque chose de bien, il vous répond "Hein ? J'ai fait quoi ?"

Il l'a fait car ceci fait partie de qui il est. Pas par obligation sociale. Pas par imposition morale. Mais parce que pour lui, c'est tout à fait normal. Faire autrement n'aurait tout simplement pas de sens.

"Moi, j'ai donné quoi ? À qui ? Ah ok, je vois de quoi tu parles, oui l'épisode d'hier... ben la personne avait juste besoin d'un petit coup de pouce non ?"

Il m'a fallu du temps pour comprendre la subtilité de cette posture. Et franchement, je ne pense pas être sur le point d'arriver à la pratiquer. Parfois je m'en approche. Mais souvent, même lorsque je fais un don anonyme, inconsciemment, je me fais du bien.

Comme je le disais en introduction, y a encore du boulot à faire pour déjouer les pièges du faux altruisme. En attentant, tant que les choses circulent entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas, on va s'en satisfaire...

 

(*) Anthony de Mello était un prêtre jésuite indien qui a fait un effort considérable pour sortir la spiritualité de la religion et enseigner certains concepts essentiels aux masses. Son ouvrage La conscience s'éveille est l'un des livres que j'ai le plus relu dans ma bibliothèque.