Apprendre à ne rien faire

Prenez votre arrière-arrière grand-oncle Gustave, celui qui avait la longue moustache sur les photos au grenier.

Faites-le revivre quelques jours et expliquez-lui qu'aujourd'hui, il faut apprendre à ne rien faire, sinon on va tous devenir chèvre.

Il va certainement vous regarder d'un œil bizarre et vous conseiller d'aller prendre quelques gouttes de laudanum (un médicament en vogue à son époque), ça vous fera du bien.

Je suis moi-même coupable de constamment faire et de ne jamais donner de repos à mon cerveau. Je suis un hyperactif mental, et ça me joue des tours. La preuve, j'écris cet article un dimanche après-midi alors que je ne devrais... NE RIEN FAIRE !

Ironique non ? Bon, trop tard, j'ai commencé à écrire, donc je vais développer ce sujet très important. Et ensuite, promis, je ne fais plus rien de la journée !

Apprendre à ne rien faire : assis sur un banc

 


Mon père allait à la pêche

Mon père était plombier pendant la semaine. Il faisait des dépannages le week-end, plomberie ou maçonnerie, il savait tout faire. Il lui restait parfois une demi-journée juste pour lui.

Il en profitait pour aller à la pêche. Je lui ai souvent demandé ce qu'il faisait exactement à la pêche.

"Rien"

"Ben tu pêchais, c'est pas ne rien faire non plus."

"Si, car je calais la cane, puis je me calais le dos contre un arbre, et je faisais le vide, je me ressourçais. Je regardais l'eau, les arbres. Ça me faisait du bien".

Mon grand-père était chasseur. Mais c'était surtout une excuse pour aller s'isoler au calme. Marcher un peu. S'asseoir sur une pierre. Écouter les oiseaux. Ne rien faire.

J'ai vu ma grand-mère passer des heures à tricoter dans sa véranda. Une forme de méditation ? Probablement.

Je vois encore les gens dans le petit village de Haute-Provence où j'allais passer mes fins de semaine. Assis sur le petit mur contre l'église le samedi après-midi, à discuter. On ne faisait pas grand-chose au final.

 


Comme des gamins hyperactifs

Comment en est-on arrivé à un point où nous ne pouvons pas passer plus de quelques heures sans être connecté à un appareil ou à un autre, que ce soit pour le divertissement ou le travail ?

Et on s'étonne que nos gamins soient hyperactifs ? Mais regardez l'exemple que notre société leur donne !

Ceci crée une situation d'hyperstimulation sans fin. Le cerveau ne se relaxe jamais. Il y a constamment un ping, un beep, un poke, un j'aime qui vient nous narguer.

Cela nous met aussi dans un mode de tension et d'anxiété, avec cette peur de rater quelque chose. Mais rater quoi exactement ? La famille royale anglaise qui est en train de se crêper le chignon ? Les photos du copain de lycée qui est de passage à Marseille et qui a posté son assiette de bouillabaisse ?

Cette addiction à l'action aurait même un nom, l'hypomanie ! (*)

Si vous travaillez de chez vous, soit car vous êtes à votre compte comme moi, soit car vous avez tout l'arsenal mobile pour prendre un peu d'avance, il est possible que votre week-end soit tout sauf un week-end.

Personnellement, je sais où tout ceci me mène : au burnout cérébral, une situation que je frôle probablement tous les 6 mois, mais que j'arrive à contrôler de mieux en mieux ces dernières années grâce un régime d'inactivité.

 


Apprendre à ne rien faire : mode avion

Votre cerveau a besoin d'un temps mort. Et votre famille a besoin de votre présence.

Je parle d'une vraie présence. Vous savez, celle qui consiste à regarder la personne dans les yeux et à l'écouter pour de vrai sans jamais jeter un œil à un écran.

Apprendre à ne rien faire est nécessaire au minimum 2 jours sur 7. Et 2 heures tous les soirs de 20 à 22h.

Pour faire cette pause, il est primordial de mettre tous les écrans hors portée. Chaque écran peut profiter de ce cadeau des dieux de l'informatique qui s'appelle le "mode avion".

Oui mais si on a besoin de moi pour une urgence ? D'accord, mais si vous continuez à vous torturer comme vous le faites, c'est vous qui allez vous retrouver aux urgences.

Pensez à vous, à votre santé mentale. Apprendre à ne rien faire est une question de survie.

  • Allez marcher, sans votre smartphone. Dites à vos proches où vous êtes, cela suffira. Dans la forêt ou dans la rue, peu importe.
  • Allez au jardin si vous en avez un, sans votre smartphone. Regardez les mauvaises herbes qui poussent.
  • Asseyez-vous sur votre sofa ou dans votre fauteuil favoris. Regardez dans le vide. Faites le point. Respirez. Méditez.
  • Si vous avez des enfants jeunes, allez vous asseoir pendant qu'ils jouent et demandez-leur de vous ignorer. Non maman ou papa n'est pas là pour jouer, juste pour ne rien faire. Observez.
  • Asseyez-vous à la terrasse d'un café. Restez là, sans rien faire, en résistant à la tentation d'empoigner le smartphone, qui est resté de toute façon à la maison je vous le rappelle.

Il faudra y aller tout doucement, car on peut vite angoisser de ne rien faire. Oui, c'est une histoire de fou ! Mais c'est notre nouvelle réalité. C'est la culpabilité de se tourner les pouces. Auquel cas, allez-y progressivement.

En public, vous ressentirez peut-être le regard des autres, qui se demanderont quel est votre problème. La personne assise sur un banc en train de regarder dans le vide, elle est malade ou quoi ?

Dites-vous que vous êtes en train de faire de la prévention. Apprendre à ne rien faire augmente votre résilience contre tous les imprévus qui vous attendent au tournant.

Ma prescription du jour : un petit rien tous les soirs, et une bonne dose de rien le samedi et le dimanche. Revenez me voir dans un mois.

 

(*) voir par exemple le site Psychologie pour une explication de l'hypomanie.