Bienfaits du sourire forcé

Cela fait déjà quelques années que je me force à sourire en voiture.

Lorsque je passe dans mon village, vu qu'on roule à 30 km/h, cela donne amplement le temps de voir la tête des gens dans les voitures que je croise.

Il y a ceux qui me prennent pour un benêt. Ceux qui détournent le regard. Et ceux qui me renvoient mon sourire. C'est une expérience sociale très intéressante.

J'ai adopté cette habitude car j'avais remarqué que cela me détendait, vraiment. Sachant que moi, dans cette petite boite en ferraille, comment dire, parfois je m’énerve un peu (mais ça, c'était avant 🙂 )

Et vu que j'aime bien aller grattouiller dans les études scientifiques, je me suis dit que j'allais aujourd'hui vous parler des bienfaits du sourire... forcé !

Mais avant, on parle de Mr Duchenne.

Bienfaits du sourire... forcé !

 


C'est qui, ce Duchenne ?

Ce n'est ni le voisin de mon cousin Benoit, ni le gars qui tient le primeur juste à gauche de la pharmacie.

Duchenne était un neurologue français qui a observé la chose suivante : "la joie est exprimée sur la face par une contraction combinée du grand zygomatique et du muscle orbiculaire. Le premier obéit à la volonté, le deuxième est seulement mis en jeu par les douces émotions de l'âme".

Joli, non ? Mais ça veut dire quoi exactement ?

Je vous fais la version simple. Un vrai sourire provoque à la fois un mouvement de la bouche, avec les coins qui remontent vers le haut (ce qui va soulever les pommettes), ainsi qu'un plissement des yeux.

Si vous ne bougez que la bouche, les gens vont tout de suite voir que vous faites semblant. Il faut bel et bien la participation de la bouche et des yeux pour que la personne en face de vous réagisse d'une manière positive à votre sourire.

Depuis, on parle du sourire de Duchenne comme "sourire vrai".

 


Les bienfaits du sourire forcé selon Ekman

Ekman, psychologue américain, est probablement LE chercheur le plus connu dans le monde des émotions et leur impact sur les expressions faciales.

En 1993, il organise une étude (1) qui deviendra classique et servira de fondation pour d'autres études.

Ekman prend 45 étudiants d'université. Chaque étudiant est soumis à un électroencéphalogramme afin de mesurer son activité cérébrale. Il doit ensuite sourire et maintenir ce sourire pendant 20 secondes. Un chercheur observe pour s'assurer que le sourire correspond aux caractéristiques de Duchenne.

Il doit ensuite faire un sourire uniquement avec la bouche, sans plissement des yeux.

Résultats :

● Le sourire de Duchenne active les régions antérieures du cerveau d'une manière plus marquée que le sourire incomplet.

● Les deux sourires activent les régions postérieures du cerveau d'une manière similaire.

Et surtout, le résultat le plus important et remarquable : le système nerveux autonome répond de la même manière que le sourire soit spontané ou volontaire (forcé) !

Un sourire, qu'il soit spontané ou forcé, rend la personne heureuse (2).

Ekman conclut : bien que les émotions soient généralement ressenties d'une manière passive, il semble qu'un individu puisse choisir de générer les changements physiologiques associés à l'émotion simplement en faisant une expression faciale d'une manière volontaire.

Waouh !

 


Réponse automatique à ce sourire

De plus, les études démontrent deux choses :

➜ Une fois que nous voyons une personne sourire, nous mimons automatiquement cette expression et nous sourions nous aussi (3).

En d'autres termes, grâce au sourire de cette personne, notre système nerveux est activé d'une manière bénéfique, ce qui met en joie. Même si ce n'est que pour quelques secondes. Considérez ceci comme un petit cadeau que la personne vous fait.

➜ Ceci arrive tellement rapidement (une demi-seconde) que nous n'avons aucun choix, nous renvoyons ce sourire que nous le voulions ou pas ! (4)

Impeccable, la nature est bien faite, tout ceci se fait automatiquement sans notre volonté. Bon, sauf peut-être si c'est une personne que vous connaissez et qu'elle vous a fait un sale coup dans le passé.

 


Effet ping-pong

Résumons. Je suis dans ma voiture (Citroën Nemo rouge pour que vous arriviez à vous imaginer) et je me force à adopter un sourire de Duchenne. Pas tout le temps car ça fatigue, hein ? Mais régulièrement pendant mon trajet.

Je croise une brave dame dans une Renault Twingo jaune. Elle me voit et me sourit, et son sourire n'est pas forcé. Elle n'y peut rien la pauvre, il a suffi d'une demi-seconde et vlan, elle affiche le sourire de l'idiot du village, comme moi !

Et moi, je vois ça, et j'adopte un vrai sourire, car il aura suffi d'une demi-seconde, etc. Vous connaissez la suite.

A partir d'un sourire forcé, on peut donc très rapidement se retrouver avec un sourire authentique, sans trop d'efforts.

 


Le bonheur au travers des gestes simples

Parfois on peut se payer une séance chez un psychologue, et parfois, pour vraiment pas cher, on peut s'illuminer la face et trouver quelques secondes de joie.

Ce qui me fascine le plus dans tout ça : on peut renverser le processus naturel des choses. On passe de l'équation :

[ Joie ➜ sourire ]

à l'équation

[ Sourire ➜ joie ]

Alors souriez. Au travail, au magasin lorsque vous faites vos courses, chez le garagiste, au centre des impôts lorsque vous faites la queue (et je peux vous dire que les gens tirent une sacrée tronche dans cet endroit particulier). A la maison bien sûr.

Dites-vous que vous le faites d'une manière égoïste, pour votre propre bien !

Et puis changer le monde commence par soi de toute manière.

Surtout, ne parlez à personne des bienfaits du sourire forcé, sinon d'autres pourraient bien adopter la même attitude. Vous vous imaginez cet enfer ? Tout le monde qui se sourit ? (oui je plaisante, je ne demande pas mieux).

 


(1) Ekman, P., & Davidson, R. J. (1993). Voluntary Smiling Changes Regional Brain Activity. Psychological Science, 4(5), 342–345.

(2) Dimberg U, Thunberg M. Empathy, emotional contagion, and rapid facial reactions to angry and happy facial expressions. Psych J 2012;1:118–27.

(3) Dimberg U, Thunberg M. Rapid facial reactions to emotional facial expressions. Scand J Psychol 1998;39:39–45.

(4) Dimberg U, Thunberg M, Elmehed K. Unconscious facial reactions to emotional facial expressions. Psychol Sci 2000;11:86–9.