Dépression masculine : la grande silencieuse et destructrice

La dépression masculine se cacherait-elle derrière les colères, violences et addictions chez l'homme ?

C'est fort probable. Je suspecte aussi que la dépression affecte de très nombreux hommes qui ne l'avoueront jamais.

Car voyez-vous, l'homme n'en parle pas. Ce n'est pas son modus operandi. Il préfère refouler sa souffrance, qui ressortira d'une manière destructrice, en général sur ses proches, ceux qui l'aiment. C'est une histoire de fou, et pourtant tellement courante.

Dans cet article, vous l'avez deviné, j'aimerais vous parler de dépression masculine.

Si vous êtes une femme, vous penserez peut-être que je m’apitoie sur la condition de l'homme, cet être privilégié, alors que la femme a été maltraitée au travers des âges.

J'espère que vous ne le prendrez pas comme cela. Car justement, la femme a souffert à cause de violences masculines.

Je respecte et soutient votre combat. Je vais vous parler de ce sujet car être un homme, je connais. Je suis né ainsi fait. Et je vois bien comment une société caricaturale peut nous manipuler d'une manière néfaste.

Je ne vais pas non plus inclure l'aspect LGBT++ ici, je parle bel et bien du modèle traditionaliste qui continue de faire des ravages.

J'espère avoir clarifié ces points-là, c'est très important pour moi.

La dépression masculine

 


Dépression masculine version 0.1

Oui, je le sais, ceci n'est qu'une modeste passe sur un sujet épineux. Une version 0.1, et on est loin de la version 1.0 (les geeks entre nous comprendront). Je vais à peine grattouiller la surface. Mais grattouiller, c'est bien. Ça commence à faire bouger les choses. Ça fait revenir la circulation vers une zone qui était devenue insensible.

Autre point, je ne suis pas psychologue. Pas de formation, pas de diplôme. Je suis simplement un homme qui a traversé des yoyos émotionnels et qui a essayé d'analyser la source de certains de ses problèmes.

Dernier point (après, promis j'arrête avec la longue introduction) : ceci n'est qu'une modeste passe au travers d'un sujet d'une grande complexité. Si vous êtes un homme qui traverse des périodes de déprime, j'aimerais faire ressortir deux choses :

(1) La caricature que la société vous impose. En êtes-vous conscient ?

(2) Une liste de questions et actions (en gras) parsemées ici et là. Posez-vous ces questions, faites ces actions si vous sentez la dépression masculine vous envahir.

 


Caricature de père en fils

Traditionnellement, l'homme n'a jamais été encouragé à exprimer ses sentiments. Parler de ses émotions n'est pas viril. L'homme ne sait pas comment rentrer en contact avec ce qu'il ressent. On ne lui a jamais appris. Il n'a pas le mode d'emploi. Ce qui pourra sembler bizarre pour une femme, mais je vous l'assure, c'est vrai.

Dès tout petit, les études montrent que les mères interagissent plus avec les bébés filles qu'avec les garçons. Les pères plus avec les garçons qu'avec les filles (1). De plus, d'une manière générale, les pères parlent moins aux bébés que les mères (2). Déjà, une caricature s'installe. Le père parle peu, et de préférence au mâle de la lignée.

Ceci se fait d'une manière complètement inconsciente bien sûr. Parlez-en à un père et il niera en bloc. La mère n'aura rien remarqué.

Mon père, que j'adore, n'utilisait que très peu de mots lorsque j'étais jeune. Des grognements tout au plus. Il s'enfermait dans un mutisme qui durait parfois plusieurs semaines sans que l'on sache pourquoi. Il parlait souvent du besoin d'être stoïque, d'encaisser la douleur sans rien dire. Les sentiments, c'est pour les faibles.

Parler, s'ouvrir, tout balancer sur la table pour qu'on en discute ? C'est pas un truc d'hommes, mon fils. Avale ta douleur pour plus tard la re-vomir sur les autres. Chose que j'ai faite comme un bon petit élève car j'ai été un grand colérique dans ma jeunesse.

Mon père avait été, en son temps, formaté par son père et d'autres hommes de sa famille. Aujourd'hui, les choses ont bien changé, je le reconnais. Mais ma génération (et définitivement celles d'avant) a été touchée par ce phénomène.

Nous sommes tous des enfants sensibles et fragiles à la naissance. Tous. Filles, garçons. Aucune différence, mêmes besoins. Et pourtant, on imposera une bifurcation très rapidement dans l'éducation des deux groupes.

 


Des écrans aux couvertures de magazines

Ainsi formate la société, parfois d'une manière directe, parfois d'une manière subtile.

Manière directe : regardez tout autour de vous, depuis les grandes productions Hollywoodiennes jusqu'aux couvertures des magazines. Que voyez-vous ? L'homme sensible en train d'écrire dans son journal intime ? Ou le profil bûcheron ou sportif, taillé dans du marbre, en train d'escalader une façade de l'Anapurna ?

Manière subtile : un père discute avec des amis au jardin public. Son fils de 4 ans arrive en pleurant car un copain lui a écrasé le pied et il a mal. "C'est rien, allez, retourne jouer, tu vas voir ça va passer."

Ce même père, lorsque sa fille de 6 ans arrive une demi-heure plus tard et se plaint de sa chaussure qui lui fait mal, la fait asseoir, lui enlève la chaussure, vérifie qu'il n'y a pas de caillou dedans, vérifie doigts de pieds et ongles, lui masse le pied, lui fait un câlin, et la garde 5 minutes à ses côtés. Elle repartira jouer d'elle-même au bout de 10 minutes, lorsqu'elle se sent prête.

Quel est le message envoyé au petit garçon qui observe la scène de loin ? Que le garçon est dur, il n'a pas le droit d'avoir mal et de se plaindre, qu'il doit avaler sa peine et frustration. Ce père, voyez-vous, n'était même pas conscient de ce qui était en train de se passer.

Les hommes sont mis dans une boîte. Et c'est le profil brut de fonderie, mental téflon sur lequel rien ne s'accroche qui l'emporte. Il ne doute pas de lui-même. Il ne connaît pas l'échec. Les autres, ceux qui ne se retrouvent pas dans ce profil (la plupart d'entre nous), ressentent un sentiment de ne jamais être à la hauteur.

Merci John Wayne et Hugh Jackman.

Question : essayez de vous souvenir de la manière dont vous avez été traité par les hommes de votre famille lorsque vous étiez gamin. Vous a-t-on écouté avec attention, vous a-t-on encouragé à parler de vos frustrations, de vous doutes ? Ou êtes-vous tombé dans un environnement machiste traditionaliste ? Comprenez que ceci a distordu l'enfant sensible que vous avez été.

 


Une masculinité qui se perd et se gagne

Je vais utiliser le terme "masculinité" ici mais on pourrait en fait parler de machisme sociétal. La vraie masculinité est subtile et s'accepte dans ses forces et ses faiblesses. Le machisme sociétal est toxique. Mais aujourd'hui, c'est cette définition de la masculinité qui a pris le dessus.

Bref. Voici le point important.

La féminité est. Elle ne se gagne pas. Elle ne se perd pas. Elle n'est traditionnellement pas remise en question. Elle est.

La masculinité est un combat constant. Elle se repose sur des fondations branlantes. Elle dépend de qui a dominé la discussion. Qui a eu le dessus dans cette altercation au volant (grande spécialité des hommes). Lorsque les choses deviennent verbales (insultes) ou physiques, il y aura celui qui gagne des points masculinité et celui qui en perd.

Celui qui a écrasé l'autre va perpétuer ce "modèle qui marche". Celui qui s'est fait écraser va devoir digérer une humiliation pendant des jours, des semaines, des mois. Cette humiliation refoulée ressortira comme violence et colère sur des personnes plus faibles et facilement manipulables. Devinez qui sera la victime ? Les proches. L'écrasé devient donc l'écrasant afin de regagner quelques points, et perpétue le modèle de violences.

Ceci démarre dès l'école avec harassement des plus faibles que l'on connaît bien. Car le mâle ne peut exprimer sa dominance que s'il a son groupe de dominés. Et malheur à ceux qui sont un peu trop enrobés, ou qui sont roux, ou qui ont des lunettes, ou qui sont petits, ou qui ont un handicap.

Je suspecte que de nombreuses humiliations, obtenues dans ce type d'échange gagnant/perdant, soient une forte composante de la dépression masculine refoulée.

Action : faites la liste de tous les épisodes de votre vie dans lesquels vous vous êtes senti humilié, écrasé par un mâle dominant, qu'il soit dans votre famille, au travail, dans votre parcours scolaire ou ailleurs. Ensuite, commencez le long processus qui consiste à vous accepter comme vous êtes.

Vous êtes un enfant sensible qui a été blessé. Brisez cette carapace rigide et dépassée de l'homme d'hier. L'homme de demain sera celui qui catalyse la paix. Les autres s'entre-tueront (avec les dommages collatéraux que cela implique, hélas).

 


S'avouer ses souffrances est le début de la guérison

Lorsque l'homme souffre de dépression masculine, il a deux choix devant lui :

  1. Avouer sa dépression, d'abord à lui-même, puis à ses proches. Si l'homme a été "bien" formaté par la société, ceci s'accompagne d'un sentiment de faiblesse et de honte qui aggrave temporairement la situation.
  2. Refouler sa dépression et se réfugier dans certaines pratiques, souvent addictives, souvent violentes, afin d'étouffer la souffrance... jusqu'à la prochaine fois.

Il n'y a pas de choix facile. Mais l'alternative 1 est le meilleur choix. Car elle marque le début d'une remise en question. L'homme, qui n'a jamais réussi à exprimer ses sentiments, en particulier s'il a souffert d'abus, va traverser une période compliquée. Car tout va ressortir.

Comme je vous le disais, je ne suis pas psychologue. Cette première étape de la "guérison" peut requérir l'accompagnement d'un thérapeute qualifié. Et elle peut durer un certain temps, des années. Mais c'est le début d'une résolution.

L'alternative 2 est la plus classique. C'est celle qui crée un effet boule de neige, car au plus on essaie de camoufler la souffrance, au plus elle ressort vivement et violemment.

Question : si vous essayez de maîtriser certaines explosions de colère, un comportement agressif, si vous êtes constamment sur la défensive... ne serait-ce pas une dépression cachée ?

Est-il temps de démarrer un travail de remise en question ?

 


Addictions = dépression masculine ?

J'ai compris très tôt que j'avais un comportement addictif. J'ai donc appris à faire attention à ce que j'entreprends. Dans mes plus jeunes années, toute activité pouvait vite basculer de récréationnelle à addictive. Idem pour mes passions qui peuvent me consumer jusqu'à la cendre.

Je pourrais citer de nombreux exemples pour vous montrer la grande variété de ce comportement addictif. En 1995, lorsque j'ai eu ma première connexion internet (celle qui fait bip-bip-blurg au travers de la ligne téléphonique), je suis très vite devenu accro à cet univers d'information qui s'ouvrait devant moi.

J'adore pratiquer le sport. Mais je peux vite basculer dans une pratique trop excessive.

Je suis migraineux, ce qui m'a sauvé du risque de basculer dans une consommation excessive d'alcool. Sinon j'aurais eu le verre facile.

Et cetera, et cetera, et cetera.

Ce que je n'ai compris que plus tard, c'est le pourquoi de ces addictions. Ce que je recherchais, en fait, c'est soit un refuge (comme l'univers infini de l'internet en 1995), soit une bonne injection d'adrénaline, dopamine et autres endorphines afin d'oublier, certes temporairement, ma réalité du moment.

Les addictions sont en fait une auto-médicamentation. J'avais besoin de ma dose de substances calmantes et anesthésiantes pour endormir mes souffrances.

Question : si vous avez aussi vos addictions, n'essayez-vous pas de pacifier une dépression qui refait surface sans vous laisser de répit ?

La dépression masculine semble n'atteindre que très peu d'hommes. Mais les chiffres sont trompeurs, ne vous y fiez pas.

Comme l'explique cette étude, "cette incidence moins élevée pourrait bien dériver de la tendance masculine à nier les malaises et à éviter d’avoir recours aux services et aux professionnels de la santé comme façon de manifester et de préserver leur virilité".

C'est tout pour cette fois. Peut-être que je reviendrai sur ce sujet. En espérant que cela vous ait permis de démarrer un processus de remise en question.

 

(1) Johnson, Katharine & Caskey, Melinda & Rand, Katherine & Tucker, Richard & Vohr, Betty. (2014). Gender Differences in Adult-Infant Communication in the First Months of Life. Pediatrics. 134. 10.1542/peds.2013-4289.

(2) Gender Differences in Adult-Infant Communication in the First Months of Life. Katharine Johnson, Melinda Caskey, Katherine Rand, Richard Tucker, Betty Vohr. Pediatrics Nov 2014, peds.2013-4289;