Dissonance cognitive : tension psychologique insupportable
Pourquoi est-il si difficile d'avouer qu'on a tort ? La réponse est simple : car très souvent, on s'est convaincu que l'on avait raison. Même si cela implique se mentir à soi-même.
Comment cela est-il possible ? Que d'autres se comportent de cette manière, ok, mais moi qui suis si droit et si honnête ?
Si vous avez lu du sarcasme, vous avez raison. Je suis moi aussi susceptible de me faire piéger par mon propre cerveau lorsqu'il y a dissonance cognitive.
Dans cet article, je vous explique les fascinantes manipulations que l'on est capable de faire afin de justifier nos décisions et nos actes.
Dissonance cognitive : une tension insupportable
Vous avez une image de vous-même, de qui vous êtes, des valeurs que vous représentez. Oh vous n'êtes certainement pas parfait, mais vous pensez être quelqu'un de bien.
Parfois, vous êtes amené à prendre une décision qui va à l'encontre de vos valeurs. Soit car c'était une décision précipitée, soit car il vous manquait des informations pour prendre la décision, ou autre.
Cet état de tension entre qui vous êtes et la décision que vous venez de prendre s'appelle dissonance cognitive. C'est un mécanisme qui a été décrit par Leon Festinger, psychologue américain, dans les années 1950. Ce phénomène a été confirmé par la suite dans plusieurs centaines d'études.
Le cerveau a horreur de cette tension. Cela crée un état d'inconfort psychologique. Et afin de soulager cet inconfort, qui peut varier du petit stress à la grosse crise d'anxiété, nous allons nous inventer une justification pour nos actes. C'est un vrai travail d'équilibriste.
En d'autres termes, nous sommes tout à fait capables de nous mentir à nous-même !
L'une des études "cultes" qui illustre ce point est celle de Stanley Milgram en 1963 (*).
Vous reprendrez bien une petite décharge électrique ?
Cette étude est en général utilisée pour démontrer le fait qu'une figure d'autorité peut nous faire faire des choses stupides et regrettables. En revanche, c'est aussi une excellente illustration du phénomène de dissonance cognitive.
Commençons par un résumé de l'étude.
On prend des étudiants et on leur explique qu'ils vont participer à une expérience afin de démontrer l'effet d'un petit choc électrique (qui ne fait pas mal) sur les capacités cognitives (capacité à réfléchir, à prendre des décisions, à mémoriser) d'une personne qui reçoit la décharge.
Imaginez maintenant que vous êtes un de ces étudiants sélectionnés. Ce que vous ne savez pas, c'est que l'expérience est en fait conçue pour voir jusqu'à quel point vous pouvez devenir un tortionnaire.
On vous offre une somme d'argent pour participer à cette étude. C'est vous qui allez administrer la décharge. On vous fait ressentir une décharge pour bien vous montrer que cela ne fait pas mal.
A noter : la personne soi-disant connectée à l'appareillage ne recevra jamais la décharge, tout est simulé. Mais ça, vous ne le savez pas.
Ensuite, le chercheur vous explique que si la personne donne une mauvaise réponse, il faudra augmenter l'intensité à 20 Volts. Cela ne fait toujours pas mal, vous le savez bien. De plus, vous lui avez déjà donné 10 Volts, vous arrivez donc facilement à justifier les 20 Volts.
Puis on passe à 40 Volts. Vous vous dites, ce n'est guère plus que 20 Volts après tout. Et peu à peu, on vous fait monter à 450 Volts et même au-delà d'une limite "DANGER" sur l'appareil que vous pilotez.
De l'autre côté, une personne souffre (du mois fait semblant de souffrir). Au départ elle souffre un peu, puis un peu plus. Et vous vous dites que si vous avez pris la décision précédente qui a fait un peu souffrir la personne, vous pouvez bien augmenter le voltage un peu plus. Après tout, ça ne fera pas une grande différence.
Faisons une pause. A ce stade, vous vous dites... moi ? Jamais je n'aurais fait ça. C'est cruel, immoral.
Écoutez donc ceci : lorsqu'on a demandé à l'avance aux étudiants s'ils pensaient monter à 450 V, ils ont quasiment tous répondu non.
En revanche, pendant l'étude, les deux tiers ont poussé jusqu'au maximum ! Sachant très bien que la décharge était dangereuse pour la personne qui la reçoit.
Une pente très glissante
Vous ne pouvez pas comprendre car vous n'avez pas suivi ce cheminement d'une petite justification après l'autre.
On pense qu'on est quelqu'un de bien. Puis on fait une petite entorse. Dissonance cognitive. On la justifie. Ce qui fait que la prochaine petite entorse semblera moins problématique.
Et peu à peu, on se retrouve sur une pente de plus en plus glissante. Et tout en bas de la pente, on a fait des choses que jamais on aurait pensé pouvoir faire.
C'est cette descente graduelle qui est si insidieuse, si problématique si on ne s'en rend pas compte.
C'est ce qui explique aussi, hélas, que des citoyens bons et honnêtes finissent par suivre un dictateur dans ses plans destructeurs.
Dissonance cognitive : que faire pour se protéger ?
Il faut être très très vigilant lorsque la toute première entorse est faite.
Lorsque vous prenez une décision et que ça vous fait bizarre dans les tripes, c'est qu'il y a déconnexion entre qui vous êtes et ce que vous vous apprêtez à faire, ou ce que vous venez juste de faire.
Il est encore temps de réagir ! D'avouer que vous avez fait une erreur. C'est ce qu'il s'est passé avec certains étudiants dans l'expérience mentionnée auparavant. Ils ont quitté l'étude très rapidement. Ceux qui sont restés ont été "emprisonnés" à leur insu.
En effet, si vous ne réagissez pas, vous risquez de graduellement justifier un comportement qui deviendra de plus en plus immoral.
Notez que ceci s'applique à de très nombreuses situations : au mensonge (un petit en justifiera un plus grand), au vol (ça commence avec dérober une pomme dans un champ), à tromper son conjoint, aux violences (petite tape deviendra grande), etc.
Voir aussi : Peut-on se mentir à soi-même ?
(*) Milgram, S. (1963). Behavioural study of obedience. Journal of Abnormal and Social Psychology, 67, 371-378.