La futilité de chasser les pensées négatives

Il pleut aujourd'hui. Je me suis donc décidé à mettre un peu d'ordre dans ma bibliothèque. Y a du boulot. Et là, je suis tombé sur un livre qui m'a très souvent rendu service dans le passé lorsque j'ai commencé à m'intéresser au développement personnel.

Ce livre est une collection de techniques pour la gestion du stress, depuis la relaxation progressive jusqu'à la méditation en passant par la respiration.

C'est un bon livre, complet. Mais la section "chasser les pensées négatives" est venue me titiller fortement. Coïncidence, je venais juste d'éplucher des études faites sur le sujet.

Cela peut paraître illogique, mais voici la réalité : il est non seulement futile d'essayer de chasser les pensées négatives, c'est aussi contre-productif.

Explications...

Chasser les pensées négatives

(légende : le taureau = moi, le gars en noir = la pensée négative)

 


Dostoïevski, Wegner et l'ours blanc

Dans son ouvrage "Notes d'hiver sur impressions d'été", le célèbre écrivain Dostoïevski nous propose le défi suivant : essayez de ne pas penser à un ours polaire, et vous verrez que ce satané ours apparaîtra dans votre esprit à chaque minute.

Un siècle plus tard, le psychologue Daniel Wegner, intrigué par ce phénomène, décide de le tester en laboratoire à l'université d'Harvard (1).

Il organise donc une simple expérience : il demande à des personnes de verbaliser ce qui leur passe par la tête pendant 5 minutes tout en essayant de ne pas penser pas à un ours blanc. S'ils pensent à un ours blanc, ils doivent sonner une cloche.

Allez, je vous laisse deviner ce qu'il s'est passé. Si vous répondez "une cacophonie de cloches", vous avez gagné un biscuit à la fleur d'oranger. Malgré les instructions de ne pas y penser, le satané ours blanc est apparu dans les esprits une fois par minute en moyenne.

Attendez, c'est pas fini. Tout de suite après, Wegner demande aux participants, au contraire, de penser à un ours blanc. Résultat : les participants pensent beaucoup plus souvent à l'ours blanc qu'un autre groupe qui lui, n'a pas subi l'exercice de suppression de pensée tout de suite avant.

Il y a donc un effet rebond.

 


Suppression anxiogène et déprimante

Jennifer Borton, professeur en psychologie, décide de mesurer l'impact de la suppression de pensée sur le moral et l'estime de soi. L'étude est menée en 2005 (2).

Les résultats sont fascinants. Les participants à qui on demande de chasser certaines pensées négatives ressentent plus d'anxiété, plus de déprime, et une estime de soi diminuée. Rajoutons qu'au plus la pensée et déprimante, au plus les participants sont vulnérables aux effets négatifs de la suppression de pensées.

Tout ceci a été confirmé dans des études plus récentes. Je laisse les chercheurs vous donner leur conclusion tirée d'une étude de 2017 (3) :

"Hélas, il semble que la suppression de pensées négatives peut amener à une augmentation de la fréquence de l'intrusion (de cette pensée) et l'intensité du stress qui lui est associé, un phénomène connu sous le nom de phénomène rebond, observable dans une variété de situations cliniques".

D'autres études ont été faites dans différents contextes : demander à des personnes qui font un régime de ne pas penser à du chocolat va provoquer... devinez quoi... une consommation accrue de chocolat ! (en tant que chocolique, je compatis).

 


Chasser les pensées négatives : conclusion

Je reviens donc à mon livre qui explique comment chasser les pensées négatives, en utilisant certains "outils" comme une bande élastique autour du poignet. Dès que l'on pense à l'ours blanc, on tire l'élastique et on se met une petite "claque" sur le poignet.

Oubliez ces méthodes, elles ne fonctionnent pas chez la plupart des personnes concernées. Elles vont créer l'effet inverse, rendre la pensée quasi-obsessionnelle.

Mais que faire alors lorsque l'on a des pensées négatives qui nous obsèdent ? Wegner offre plusieurs alternatives qui semblent fonctionner beaucoup mieux.

L'une de ces alternatives est de se donner un temps imparti, chaque semaine, pour penser à ce qui nous tourmente. Par exemple, dès que l'idée arrive, on peut se dire "pas maintenant, en revanche j'y penserai jeudi matin".

On se donne donc le droit d'y penser. Mais pas maintenant. Et ceci semble faire toute la différence. Mais le jour dit, il faut se donner la possibilité d'y penser pendant un temps limité. De faire sortir la pression qui s'accumule en quelque sorte.

Une autre manière de gérer ces pensées est de pratiquer la méditation de pleine conscience. Nous en reparlerons très bientôt.

 

 

(1) Wegner DM, Schneider DJ, Carter SR 3rd, White TL. Paradoxical effects of thought suppression. J Pers Soc Psychol. 1987 Jul;53(1):5-13.

(2) Borton, J.L.S., Markowitz, L.J., & Dietrich, J. (2005). "Effects of suppressing self-referent thoughts on mood and self-esteem." Journal of Social and Clinical Psychology, 24, 172-190.

(3) Cowan CSM, Wong SF, Le L. Rethinking the Role of Thought Suppression in Psychological Models and Treatment. J Neurosci. 2017 Nov 22;37(47):11293-11295. doi: 10.1523/JNEUROSCI.2511-17.2017.