La solution à la peur est la curiosité et la présence
Mary Karr : "La solution à la peur est la curiosité et la présence".
En écoutant sont interview sur le Tim Ferriss Show (en Anglais, voir lien en fin d'article), c'est la phrase qui m'a le plus interpellé. Je l'ai tout de suite notée pour pouvoir y réfléchir au calme.
Mary Karr est une écrivaine Américaine qui a connu beaucoup de succès avec ses mémoires "The Liar's Club".
Certains ont la chance d'avoir une belle enfance. Ce n'est pas le cas de Karr qui a eu une vie très tourmentée depuis toute jeune, et a réussi à canaliser son énergie (parfois sa rage, son désespoir) dans l'écriture. Elle a une certaine expérience dans toutes ces émotions invalidantes.
Ces peurs qui nous bouffent
Nous avons tous nos peurs. Peur des araignées. Peur du monde. Peur du vide. Peur de la mort. Certaines de ces peurs ne sont pas forcément rationnelles et peuvent nous empêcher de vivre (ex : phobie de la foule) ou faire certaines activités qui nous tiennent à cœur.
Pour certaines peurs fondamentales comme celle de la mort, nous passons notre vie à repousser ce sentiment qui finit toujours par se métamorphoser en quelque chose d'encore plus intense et destructeur comme la colère et la violence (en particulier chez l'homme).
Transcender sa peur est donc primordial afin de retrouver un état de paix intérieure. La tâche est très ambitieuse. Karr nous fournit deux pistes à explorer.
Solution à la peur : curiosité ?
Pourquoi une solution à la peur serait-elle la curiosité ? Que veut dire Karr exactement ?
La peur est une émotion animale qui provient d'une partie très ancienne de notre cerveau. Cette partie a priorité sur tous les autres processus mentaux. Normal, la peur est un mécanisme de survie. Donc lorsque cette émotion surgit, elle court-circuite tout raisonnement rationnel qui provient des parties plus récentes de notre évolution.
Vous avez beau vous dire "cette araignée est inoffensive" ou "tu ne vas pas tomber dans le vide vu que tu es attaché par un câble", rien n'y fait. Le rationnel n'accroche pas. Ce sont les tripes qui parlent, et là elles sont en mode urgence. Que les autres se taisent.
L'une des astuces pour faire face à la peur est donc de forcer le "cerveau rationnel" à reprendre le dessus. C'est la partie du cerveau responsable des processus d'analyse et d'apprentissage. La curiosité va stimuler exactement cette partie.
Un exemple : la peur du vide
J'ai une grande peur du vide. Je l'ai toujours eue, depuis tout petit, et elle est parfois paralysante. J'essaie néanmoins de constamment me lancer de petits défis afin d'apprivoiser cette peur.
Imaginons, par exemple, que je sois en train de faire une Via Ferrata des plus vertigineuses. Faire appel à la curiosité dans ce contexte ressemblerait à quelque chose comme ça :
- J'observe la structure du rocher juste en face de moi, les petites plantes qui poussent dans une minuscule fissure ;
- Je me demande si je vais voir de nouveaux insectes dans la prochaine section du parcours qui a l'air de se trouver un peu plus à l'ombre ;
- Et si j'essayais de relaxer mes jambes et de me mettre en légère flexion, est-ce que je vais progresser plus facilement ?
- Que se passe-t-il exactement dans mon corps ? Je peux observer des tensions très fortes dans mes bras, dans mes mâchoires, mes épaules qui commencent à me faire mal tellement elles sont tendues.
Etc. Vous avez compris le mécanisme. Le but est de constamment fixer un objectif à la partie rationnelle de notre cerveau afin qu'il fasse son travail d'observation, d'analyse, d'interprétation et qu'il vole un peu d'énergie à la partie animale.
Sinon, c'est une boucle infernale qui dit : "Tu vas tomber puis tu vas mourir. Tu vas tomber puis tu va mourir. Tu vas tomber puis tu va mourir." Lorsque la peur n'est pas rationnelle (dans le sens où je suis attaché et sécurisé à la paroi), ceci n'a rien de constructif.
Solution à la peur : présence ?
Pourquoi une solution à la peur serait-elle la présence ? On revient ici à des principes de pleine conscience que j'ai commencé à présenter ici et là sur ce site.
La peur est basée sur ce qu'il pourrait se passer dans le futur. Voici la pièce de théâtre en 2 actes élaborée par mon cerveau primitif :
- Acte 1 : je tombe dans le vide
- Acte 2 : je meurs
- Rideau
Clairement, l'acte 1 est un futur totalement hypothétique (vu que je suis toujours là accroché à ma paroi de rocher), pareil pour l'acte 2 qui est lui-même bâti sur l'acte 1. Donc on est dans la fiction totale ici. Le cerveau est très fort pour ce genre de choses, afin de nous protéger bien évidemment.
La pleine conscience va s'assurer que l'on reste le plus possible dans le présent en portant toute notre attention sur cet incroyable concert de sensation qui est en train de se dérouler dans notre corps. Nous pouvons faire appel à nos 5 sens :
- Je ressens une petite brise fraîche sur ma peau en cette fin d'après-midi (toucher) ;
- Je sens l'odeur légèrement aromatique de certaines petites plantes dans le rocher (odorat) ;
- La couleur de la roche est magnifique ici, en particulier avec le reflet des derniers rayons du soleil (vision) ;
- J'entends un rapace qui est en train de tournoyer dans les environs (ouïe) ;
- Ma main serrée sur le câble arrive à ressentir tous les fils métalliques torsadés (toucher) ;
Etc. Cela ressemble un peu à la curiosité du point précédent. Mais pas exactement.
Combiner les deux
Ces deux concepts peuvent évidemment être combinés en se fixant des petites missions. Par exemple, se demander comment cette minuscule végétation arrive à pousser dans les fissures du rocher (curiosité), puis toucher certaines petites plantes et voir que certaines sont douces (les mousses) et d'autres rêches (présence).
C'est en tout cas mieux que de se concentrer sur le fait qu'on est légèrement scotché à la paroi comme un gecko paralysé.
Ceci peut s'appliquer à n'importe quelle peur irrationnelle, et s'utiliser chez l'adulte comme chez l'enfant.
Celle qui a peur de la foule pourrait s'assoir sur le palier de son immeuble dans une rue à grande circulation. Légèrement en retrait, elle pourrait tout d'abord observer ce qui a changé à l'intérieur de son corps par rapport à 5 minutes auparavant lorsqu'elle était toujours dans l'appartement (curiosité).
Le cœur bat-il plus vite ? Y a t'il une sensation de chaleur dans le visage ? De froideur et d'humidité dans les mains ? Quel type de tension ressent-elle dans son ventre ? (présence)
Elle pourrait ensuite observer les gens qui passent. La couleur de leurs habits... y-a-t'il des couleurs qui semblent être particulièrement populaires en ce moment (curiosité + vision) ? Y-a-t'il des personnes plus sonores que d'autres, et si oui pourquoi - talons qui frappent le sol, parlent au téléphone, ou écoutent de la musique (curiosité + ouïe) ? Etc.
Après un moment passé à pratiquer ces activités, il est fort possible qu'elle soit dans un état plus calme, prête à passer au défi suivant, peut-être entreprendre une petite marche de 5 minutes autour de l'immeuble, tout en se fixant d'autres petits défis curiosité + présence.
Un petit truc de rien ?
Certains considèreront tout ceci comme de petites astuces qui ne vont pas au cœur du problème, au cœur de la peur elle-même et du pourquoi cette peur existe. Qu'il faut plutôt commencer par les grandes réflexions et, si nécessaire, aller voir un psychologue ou autre praticien qualifié.
Je ne suis pas d'accord. L'un n'exclut pas l'autre. Lorsque la peur est paralysante, les deux sont nécessaires. Mais pourquoi attendre et se priver d'outils et d'astuces qui, lorsqu'on les applique d'une manière consistante, peuvent nous faciliter la vie ?
Références :
- L'épisode en question sur le Tim Ferriss Show (en Anglais) se trouve ici.
- Marry Karr présentée sur Wikipedia (en Anglais aussi)